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L'aveuglement

Une jeune femme était assise dans un parc où je me rendais en promenade. Elle paraissait plongée dans une douleur extrême: ses traits étaient figés, comme ceux de certains masques que j'avais aperçus dans un musée de la capitale où j'habitais. Me sentant attirée vers elle comme par un aimant, je m'assis auprès d'elle. Dans ce pays de l'Afrique de l'Ouest, c'était chose banale, car si ce peuple au milieu duquel je me trouvais était assez éloigné du modèle occidental, ici, il n'y avait aucune gêne ni honte à s'approcher d'autrui pour consoler.

Je l'abordai ainsi:

"Que vous arrive t-il que vous soyez si peinée?"

Elle mit du temps à réaliser que quelqu'un s'était assis auprès d'elle.

"Je suis désespérée.

- Et quelle en est la raison?

- N'avez-vous pas entendu parler de l'arrivée de mon frère du long périple auquel il avait été astreint?

- Non, car je ne lis presque plus les informations. Trop de problèmes, trop d'incompréhension.

- C'est vrai, c'est cela même la raison de mon émoi intérieur.

Alors nous restâmes un long moment silencieuses...

Puis elle me demanda doucement:

- Savez-vous ce qu'il en coûte d'assister à l'aveuglement de quelqu'un que vous chérissez et de vous sentir impuissant devant sa ruine?

- Je peux comprendre. Cependant vous vous doutez bien que chacun sur cette terre a sa propre mission. Nous avons tous une feuille de route et si nous essayons d'intervenir dans les affaires d'autrui, nous pourrions passer à côté de notre mission sans rien accomplir de ce qui nous est imparti, même s'il s'agit de ceux que nous aimons.

- Même s'il est aveuglé?

- Pour vous, il paraît aveuglé. C'est ainsi que vous le voyez, mais n'est-il pas heureux lui? Pouvez-voir ce qui se passe dans son coeur? Vous pourriez être en train d'amasser d'autres fardeaux, en accumulant d'autres soucis à ceux qui se dressent sur votre propre chemin. Il se pourrait même que ce problème dont vous vous chargez soit celui que votre frère doit affronter, qui le mettra face à lui-même. Vous avez été séparés et vous en êtes sortis vivants. Réjouissez-vous.

- C'est là votre pensée? J'aime mon frère et je souffre pour lui.

- Contentez-vous de l'aimer, de penser à lui avec amour et voyez-le entouré de ce cercle protecteur. Vous n'avez pas besoin d'en faire plus qu'il ne soit attendu de vous.

- C'est un problème que vous n'avez pas réglé. Chacun choisit la direction qui lui est inspirée du dedans. Si vous vous concentrez sur quelqu'un d'autre, certaines choses vous échappent et compromettent votre progrès.

- Quel progrès? Pour aller où? Je n'ai que ce frère au monde.

- S'il vous aime comme vous l'aimez, il viendra à vous; s'il ne le fait pas, laissez-le. Il n'est pas si aveuglé qu'il le paraït. C'est un choix délibéré, qui lui apprendra quelque chose, qui le révélera à lui-même. Votre amour restera tel quel. Vous le portez en vous.

De nouveau le silence se fit parmi nous. Les traits de celle qui avait croisé ma route de détendirent. Nous n'avions plus rien à échanger.

Elle me sourit et me dit: "Merci, merci beaucoup."

Et moi je continuai mon chemin vers d'autres rencontres, vers d'autres êtres qui sans doute m'attiraient à eux...


J.Q. LOUISON



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